Journal de Rouen du 31 mars 1938
M. Hâche, garde champêtre d'Életot, près de Fécamp, doit tenir le record de l'ancienneté avec ses 84 ans d'âge et ses 57 ans de services
Életot, modeste commune située à 6 kilomètres de Fécamp, se compose de fermes et de quelques villas groupées autour d'une église en pierre assez ancienne.
Là, dans une maison d'un pur style normand, habite M. Aimable-Jules Hâche, garde champêtre, qui, âgé de 84 ans, bat certainement le record de l'ancienneté, avec 57 ans de services.
Au moment où nous arrivons, M. Hâche rentre de tournée. Il nous tend cordialement la main et nous fait rentrer dans la cuisine où brûle un bon feu de bois.
C'est un homme de la terre, au tempérament robuste, aux muscles d'acier. Les ans ont un peu incliné le buste et alourdi les jambes ; mais dans son visage clignotent deux petits yeux bleus et vifs. Le seul ennui dont se plaint M. Hâche c'est de ne pas entendre. Peu importe. Il suffit de crier fort pour qu'aussitôt il entre dans la voie des souvenirs. Sa mémoire les a conservés, et c'est avec force détails qu'il les égrène avec son rude accent cauchois.
M. Hâche est né à Életot en 1853. En 1873, il fit son service militaire au 120e R.I. de Péronne, sous les ordres du capitaine Pau, qui devait devenir général. Son capitaine l'appréciait tellement qu'il lui proposa de contracter, après ses quatre années de service, un rengagement, tout en lui promettant des avantages matériels intéressants. Le dévouement qui l'attachait à ses parents l'emporta sur toute autre considération et il revint dans son village natal pour cultiver les champs.
En juillet 1879, M. Hâche épousa une jeune fille d'Életot, Rose Deshayes, aujourd’hui âgée de 84 ans. Le ménage eut six enfants. Un mourut jeune. Les cinq autres, trois garçons et deux filles, vivent encore. Quinze petits enfants et cinq arrière-petits-enfants entourent M. et Mme Hâche de la plus tendre affection.
Le 11 juin 1881, le garde champêtre d'Életot était démissionnaire. M. Hache accepta de le remplacer, et le 30 juin de la même année, il recevait sa nomination officielle, signée de la préfecture, aux appointements de 150 frs par an. Depuis, le brave garde champêtre parcourt régulièrement les routes de sa commune, faisant environ 5 kilomètres par jour. En 57 ans, combien cela représente-t-il de chemin parcouru ? Doté d'une santé robuste, il s'est rarement arrêté et aujourd'hui, avec la même ténacité et la même résistance, malgré ses 84 ans, M. Hâche fait sa tournée, quel que soit le temps. Ne faut-il pas que l'ordre règne dans la commune.
Bien entendu, ses appointements ont augmenté. Actuellement, ils s'élèvent à la somme de 1.200 frs par an, soit 100 francs par mois. M. Hâche s'acquitte scrupuleusement de sa mission dont il est fier. Que de fois il a passé des bouts de nuit dans les bois voisins pour surprendre, au prix de sa vie, les braconniers qui, à la faveur de l'obscurité, tendaient des collets ou venaient relever le gibier.
Il battit le tambour pour annoncer la mobilisation, le 1er août 1914. Ce pays, calme et pauvre en histoire, a compté cependant un criminel de 19 ans, qui tua, il y a une quinzaine d'années, un cultivateur, Frédéric Hervieu, pour le voler. M. Hâche fit son enquête, recueillit divers témoignages et eut assez de chance pour mettre la main sur le criminel, le garder à vue et le livrer à la justice. Ce fut la principale affaire de sa longue carrière. Elle était d'importance, en raison de la fatigue et du danger auquel il se trouva exposé.
Sa bravoure fut récompensée en 1911, année où il reçut la médaille d'honneur en argent de la Police municipale et rurale, qu'il nous montra avec une légitime fierté.
— Pensez-vous continuer encore vos services ? lui demandâmes-nous, avant de le quitter.
— Oh ! pour ça, oui, car je suis encore « costaud » et je n'ai point peur des kilomètres. Je continuerai jusqu’à ce que mes jambes n'en puissent plus.
Là-dessus, il coiffa son képi des grands jours pour poser devant l'objectif de notre photographe. Et c'est avec un bon sourire qu'il nous tendit sa vieille main parcheminée.
M. B.
Aimable Jules HACHE décèdera à Életot le 29 août 1939 à l'âge de 86 ans.
Petit rebondissement 2 jours plus tard...
Journal de Rouen du 2 avril 1938
LE DOYEN DES GARDES CHAMPÊTRES
M. Lancien, garde champêtre à Hodeng-Hodenger, compte 93 ans d'âge et 56 ans de service
Nous avions cru qu'avec ses 84 ans d'âge et ses 57 années de service, M. Jules-Aimable Hache était en droit de revendiquer le titre de doyen des gardes champêtres.
Et bien, non ! Nous avons appris qu'Hodeng-Hodenger, charmante commune du Pays de Bray, possédait un garde champêtre plus vieux encore. puisqu'il est âgé de 93 ans.
Curieux rapprochement, il S'appelle Lancien. Sa mémoire, restée jeune, a conservé de nombreux souvenirs qu'il raconte avec plaisir et fierté.
M. Emile Lancien, originaire de Beaubec-la-Rosière, où il naquit le 28 janvier 1845, commença à travailler dès l'âge de 11 ans dans une ferme de la région. En 1870, il tira au sort un mauvais numéro. Sur 93 conscrits, on devait en retenir 49. Au-dessus de ce chiffre, exemption de service; mais, comme le jeune Lancien avait tiré le n°3 et qu'il était de santé vigoureuse, on le déclara bon pour le service.
Il fut incorporé au 2e bataillon des mobiles puis on l'affecta au dépôt de remonte de Caen avant de le nommer à titre d'estafette à l'armée de la Loire.
Libéré en 1872, M. Lancien revint au pays natal et se maria à l'âge du 27 ans avec Mlle Albertine Bénard.
Le poste de garde champêtre de la commune étant vacant, M. Lancien le sollicita. Au printemps de 1882, il reçut sa nomination officielle et, depuis, il parcourt la campagne dont l'étendue est très grande et dont les habitants sont de braves gens.
Sa tournée terminée, M. Lancien, qui a conservé une santé étonamment vigoureuse, accepte de faire quelques corvées dans les fermes et les jardins dépendant de sa "circonscription".
M. Hache compte 84 années d'âge et 57 de services. M. Lancien, 93 ans d'âge et 56 de services.
Mais que faut-il considérer pour obtenir le titre de doyen : l'âge ou les années de services ?