Journal de Rouen du 16 mars 1927

Pour le voler, un garnement fracasse le crâne d’un vieillard dans une hutte isolée

L'Assassin est arrêté

(De notre envoyé spécial)

Un crime sauvage qui a soulevé une très grosse émotion dans la région s'est déroulé dans la nuit de dimanche à lundi dans le canton de Valmont.

Entre Saint-Valery et Fécamp, à l'endroit où le plateau du Pays de Caux plonge dans la mer ses hautes falaises crayeuses, le village d'Életot s'abrite dans un repli de terrain à quelques centaines de mètres de la mer.

Un peu en dehors de l'agglomération, en bordure de la route qui mène à Saint-Pierre-en-Port se dresse la maison habitée par les époux Burel et leurs enfants, une fille et un garçon, Henri, âgé de vingt ans, qui jouit d'une réputation détestable.

À cinq cent mètres environ de là, au lieu-dit « Les Fonds communaux d'Életot », se dressent deux vallons séparés par un ravin au fond duquel serpente un petit chemin. Au flanc d'un de ces coteaux — couverts de maigres pâturages gagnés sur les futaies qui, jadis, couvraient les pentes — se trouve une marnière à demi abandonnée, blanche cicatrice qui tranche sur la verdeur environnante. Là, dans une cabane qui lui servait de refuge, demeurait un vieillard, âgé de 73 ans, M. Frédéric Hervieux.

Une vieille rancune

Le père Hervieux et le jeune Burel, bien que voisins, bien qu'ils exerçassent la même profession : celle d'ouvriers de marnière ou cailloutiers, n'entretenaient pas de bons rapports. Il y a quelques mois — en octobre dernier — une affaire de vol de pommes de terre, affaire assez embrouillée au demeurant, les avait amenés tous deux devant le tribunal correctionnel qui les avait condamnés à trois mois de prison avec sursis.

À cette occasion lors d’une confrontation avec Burel, Hervieux avait répondu au jeune homme qui l'accusait : « Tu n'es qu'un malfaisant, tu m'as toujours fait du mal, tu m'en feras toujours et un jour, peut-être, tu me tueras ! ». Le malheureux ne croyait pas si bien dire !

La découverte du crime

Dimanche dernier, M. Béchet, âgé de 24 ans, cultivateur à Écretteville-sur-Mer, revenait, du hameau d'Ypreville, se dirigeant vers Écretteville, lorsque sur la route il croisa M. Hervieux, qui allait en sens inverse.

— Ça va-t-y comme vous voulez, père Hervieux ? lui demanda-t-il.
— Comme ci, comme ça, répondit le vieil homme.

Et la conversation s'engagea au cours de laquelle M. Hervieux pria son interlocuteur de lui prêter une brouette pour le lendemain, ce que l'autre accepta.

Ainsi dit, ainsi fait. Le lendemain matin, M. Béchet apporta la brouette qu'il plaça près de la marnière où couchait le vieillard.

Dans le courant de l'après-midi, vers 15 heures, comme il travaillait dans les environs, M. Béchet jeta un coup d'œil sur l'endroit où il avait laissé la brouette : celle-ci était restée à la même place. Intrigué, il cria à plusieurs reprises : « Ohé, père Hervieux ! » mais personne ne répondit à son appel.

De plus en plus inquiet, il s'avança : la porte de la « tanière » où logeait le vieillard était ouverte et maculée de sang. À l'intérieur gisait le cadavre complétement nu de son occupant, la tête fracassée. La pièce était ensanglantée et des débris de cervelle s'étaient répandus sur les parois de terre battue.

Bien que très ému par l'effroyable spectacle qu'il avait sous les yeux, M. Béchet ne perdit pas son sang-froid. Il courut prévenir un de ses camarades, M. Lecanu, et tous deux donnèrent l'alarme. Le maire d'Életot, celui d'Écretteville-sur-Mer et la gendarmerie de Valmont furent rapidement prévenus.

L'enquête

Les gendarmes Lemoine et Chaplain se rendirent immédiatement sur les lieux et constatèrent l'assassinat. Aussitôt, le chef de brigade Mutel téléphona au capitaine Gruyer, commandant l'arrondissement d'Yvetot, qui se rendit d'urgence à Életot, accompagné de M. le docteur Brametot, de Valmont, du chef Mutel, du gendarme Leclère, et commença l'enquête.

Dans la carrière, devant la hutte, on découvrit un cache-col blanc taché de sang ; des taches de sang se trouvaient sur le sol tout autour. Dans le taudis, où régnait un désordre indescriptible, ils trouvèrent le cadavre étendu à terre sur le côté droit et portant des blessures très profondes à la tête. Dans un coin gisait l'instrument du crime : un « pied de forme » pour cordonnier, long de soixante-cinq centimètres et de vingt-cinq centimètres de diamètre à son extrémité, maculé de sang et auquel des cheveux blancs adhéraient encore.

Poursuivant leurs recherches, les enquêteurs apprirent que la rumeur publique accusait Henri Burel du crime. Le chef Mutel se souvint alors — fort à propos — des menaces que le jeune homme avait proférées à l'égard de la victime : il accusait Hervieux de l'avoir dénoncé et fait condamner dans l'affaire des pommes de terre à laquelle ils avaient été mêlés tous deux. Il se rappela également que, deux mois plus tôt, Burel était allé cogner à la porte de la cabane d'Hervieux, menaçant de lui faire son affaire.

L'interrogatoire de Burel

Les gendarmes se rendirent donc sans plus tarder chez les Burel : il était 18 h. 45. Là, ils trouvèrent le jeune garnement, auquel ils intimèrent l’ordre de mettre les mêmes vêtements que ceux qu'il portait la veille et de les suivre sur les lieux du crime.

Henri Burel le prit, dès l'abord, de très haut et commença par refuser de suivre les gendarmes. Ce n’est que sur la menace d'être enchaîné qu'il consentit enfin à obéir.

Depuis 21 heures jusqu'à minuit — pendant trois heures par conséquent — le capitaine Gruyer et le chef Mutel pressèrent Burel de questions. Celui-ci, qui ne montrait aucun signe de faiblesse, aucune trace de trouble, persista à nier en dépit des charges qui s'accumulaient sur sa tête.

Des témoignages accablants

Entre temps, en effet, les époux Burel avaient fait des déclarations qui ne laissaient aucun doute sur la culpabilité de celui qui fit toujours leur désespoir.

Le père déposa tout d'abord que son fils, après avoir cassé du bois dans la cour de sa maison et avoir touché les six francs qu'il lui donnait chaque dimanche, était parti à 15 heures, à bicyclette, pour se rendre à Saint-Pierre-en-Port. Il était rentré vers minuit sans rien dire, s'était déshabillé dans sa chambre, sans lumière, et avait, comme à l'accoutumée, accroché ses vêtements au porte-manteau. Le matin, il n'avait pas remarqué de désordre dans les vêtements de son fils, qui ne portaient aucune tache de sang.

Il ajouta que son fils avait travaillé dans la journée sans paraître le moins du monde inquiet et qu'il paraissait ignorer la mort d'Hervieux.

Mme Burel confirma la déclaration de son mari ; elle dit en outre que son fils ne lui avait pas paru ivre quand il était rentré se coucher la veille au soir. Mais elle ajouta que, le matin même, elle avait trouvé dans les vêtements de son fils un mouchoir trempé, taché de sang, et, comme elle lui demandait d'où il venait :

— Je me suis écorché à nouveau la main avec ma bicyclette, répondit le garnement, et je me suis servi du mouchoir pour m'essuyer.

Entendue à ce moment, la jeune Bernadette Burel qui, le matin avait brossé les vêtements de son frère, déclare que ceux-ci ne portaient aucune trace de sang, mais qu'ils étaient humides comme s'ils avaient été mouillés.

La chose était claire : Henri Burel avait lavé et essuyé avec son mouchoir le sang dont ils étaient maculés.

Les aveux

À minuit, l'inculpé était amené à la gendarmerie de Valmont, où, interrogé toute la nuit, il continua de nier, plaisantant même, déclarant qu'il était innocent et qu'il se moquait de ce qui pouvait lui arriver.

— Et si on t'envoyait à Biribi, lui dit-on ?
— Est-ce qu'il y a des femmes à Biribi ? répondit effrontément le vaurien ; s'il y en a, ça doit être la bonne vie...

Ramené sur les lieux du crime hier matin, il refusa encore d'avouer. Ce n'est qu'à onze heures, enfin, qu'il déclara :

— Eh bien ! oui, c'est moi qui ai fait le coup !

Et il se mit à pleurnicher… sans grande conviction.

Il fallut encore plus d'une heure pour lui arracher le récit complet de son forfait. Voici ce qu'il résulte de ses déclarations :

Le drame

En quittant le domicile paternel, dimanche à 15 heures, Henri Burel se rendit à Saint-Pierre-en-Port, où, avec quelques camarades, il passa l'après-midi et une partie de la soirée, puis il quitta ses amis et revint seul à Életot.

Avait-il prémédité son acte ou bien, en cours de route, l'idée lui vint-elle de se venger d'Hervieux ? L'enquête éclaircira peut-être ce point délicat ; toujours est-il qu'avant de rentrer chez lui, Burel prit le chemin menant à la carrière où logeait Hervieux : il était alors près de minuit.

Laissant sa bicyclette à mi-côte, le gredin se dirige vers la cabane et veut se faire ouvrir. Il fait un tel vacarme que le vieil homme se lève pour le faire partir et pousse la porte : c'est sa perte. Burel saute sur lui et les deux hommes se prennent aux cheveux, mais plus jeune et plus vigoureux, Burel prend rapidement le dessus ; il repousse son antagoniste dans la cabane ; avisant alors le pied de forme à chaussures, il s'en saisit comme d'une massue et en assène trois ou quatre coups violents sur la tête de son adversaire. Le vieillard tombe dans une mare de sang, le crâne défoncé. Alors, cyniquement, Burel se penche sur celui qu'il vient de tuer et, s'éclairant avec sa lanterne de bicyclette qu'il a pris la précaution d'apporter, il fouille le cadavre à demi-nu. Il sait probablement que le vieillard a de l'argent : c'est demain sa fête et il a dû économiser à cette occasion. Sous la chemise, il découvre en effet deux petites boîtes en fer blanc contenant près de huit cent francs en billets de cinquante et cent francs : il s'en empare et s'enfuit.

À mi-côte — parmi les touffes de fraîches primevères annonçant le retour du printemps — il retrouve sa bicyclette et rentre chez lui. Avant de se coucher, il a la précaution de se laver les mains dans un bac en zinc plein d'eau. S'apercevant alors que du sang a jailli sur ses vêtements, il prend son mouchoir, le trempe dans l’eau, essuie les taches fraîches et va se coucher paisiblement. Il n'a oublié qu’une chose : jeter une mitaine qu'il avait à la main droite au moment du meurtre et qu'on retrouva dans la poche de son pardessus, pleine de cheveux blancs ! Quant à l'argent, il le cache dans une sorte de grotte, près de chez lui, où les gendarmes le retrouveront enfoui sous quelques poignées de terre.

La victime

 M. Frédéric Hervieux était né le 14 mars 1853, à Angerville-la-Martel ; il devait donc avoir 74 ans lundi dernier, lendemain du crime. Il travaillait à extraire de la marne et du caillou pour la culture. Ne chômant guère, on savait que, malgré son air misérable, il n'était pas sans avoir quelque argent. Il était assez estimé dans le pays, bien que sa femme ait dû se séparer de lui et aller vivre chez une parente à cause des mauvais traitements qu'il lui faisait subir. Mais comme nous le dit une brave femme du pays : « C'était un homme bien serviable et bien doux, sauf pour sa femme. À part ça, y a rien à redire sur lui ! ».

L’assassin

Quant à Henri Burel, né à Écretteville-sur-Mer le 24 janvier 1907, il n'y a qu'une voix dans la région pour dire : c'est une crapule. Paresseux, peu intelligent, mais faraud et vantard, il avait commis des larcins partout où il avait été employé. Aussi changeait-il constamment de place et était toujours mis à la porte par ses patrons pour vols. C'est un vaurien sans scrupule et ceux qui avaient à se plaindre de lui n'osèrent jamais le dénoncer de peur d'une vengeance.

Petit, assez robuste bien que paraissant chétif à première vue, Burel a en effet l'air sournois et dans ses petits yeux enfoncés on ne lit aucun regret, aucun remords, rien qu'un peu de crainte. À la base de ses cheveux châtains longs et emmêlés, il porte encore des taches du sang de sa victime.

Le lieu du crime

Nous nous sommes rendu hier après-midi dans la carrière tragique. Au milieu d'un tas de ferrailles et d'ordures : seaux, brocs, plats hors d'usage, vieilles chaussures éculées, boîtes de conserves vides... se trouve le logis de Hervieux.

Quel logis ! Une tanière pourrait-on dire avec plus d'exactitude. Imaginez un talus dans lequel un trou carré de deux mètres de profondeur et d’un mètre cinquante de hauteur aurait été pratiqué et dont les murs auraient été tapissés de plaques de tôle rouillées, de débris de vieux seaux coupés en deux et aplatis. Dans un coin, une cheminée consistant en vieux seaux — matière première de tout l'édifice — posés les uns sur les autres.

D'un côté, le lit fait d'un cadre de bois et de toiles posées en travers. Au mur pendent des hardes, des guenilles. Dans des trous creusés à même le mur, une lanterne tempête, des allumettes, quelques bouts de bougie, une tabatière en corne. Sous le lit, une réserve de sel gris et quelques poissons fumés.

Sur le sol, il y a de la paille, et sur la paille, au bas du lit, un cadavre recroquevillé.

La tête du pauvre homme n'est qu'une plaie : le côté gauche du crâne a été enfoncé et la cervelle est sortie par le sommet de la boîte crânienne fendue sous le choc ; le front est enfoncé lui aussi et une large plaie qui part de la commissure droite de la bouche s'étend jusqu'au menton. Sur les murs, sur le sol, sur la porte, partout, du sang...

Dans le courant de la journée, le corps de M. Hervieux a été ramené, dans la masure que la victime possédait à Életot, par les soins de M. Boudin, maire de la commune.

L'autopsie du cadavre sera pratiquée aujourd'hui par M. le docteur Pépin, médecin légiste à Yvetot. L'inhumation aura lieu jeudi matin.

Quant à l'assassin, il sera transféré au Havre dans le courant de la journée.

Il convient en la circonstance de féliciter les gendarmes et, particulièrement, M. le capitaine Gruyer et le maréchal des logis chef Mutel de l'activité et de l'habileté avec laquelle ils menèrent leur enquête. Quand on songe qu'ils durent questionner l'assassin pendant quatorze heures avant d'obtenir ses aveux, on ne peut que rendre hommage à leur dévouement et à leur conscience professionnelle.

Les habitants d'Életot et des environs qui ont été très vivement émus par ce drame crapuleux, sont d'ailleurs unanimes à les louer.

Ajoutons, avant de terminer, que MM. Tanqueray, notaire à Valmont, et Charles Valin, agriculteur à Angerville, facilitèrent les recherches en mettant aimablement leurs voitures à la disposition des enquêteurs et que, outre le maire et le garde champêtre d'Életot, plusieurs habitants de la commune s'étaient mis à la disposition de la gendarmerie pour passer la nuit sur les lieux.

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Journal de Rouen du 17 mars 1927

Ainsi que nous l'avons annoncé, l'autopsie du cadavre du père Hervieux, assassiné dimanche dernier, a été pratiquée hier mercredi, à 7 heures, par M. le docteur Pépin, médecin légiste, à Yvetot.

La boîte crânienne, de l'oreille gauche au milieu du front et sur une largeur de main, est réduite en petits fragments, démontrant ainsi avec quelle sauvagerie l'assassin avait frappé. La cervelle est complétement en bouillie.

Le praticien a relevé également sur la tête quelques ecchymoses provenant des coups reçus par Hervieux au cours de la lutte qu'il soutint contre son agresseur.

Comme il a été déjà indiqué, l'inhumation de la victime aura lieu aujourd'hui jeudi à Életot.

Burel a quitté Valmont hier matin par le train de 7 h. 44 pour le Havre. Lui, qui, depuis deux jours, était arrogant, est maintenant très abattu, il ne cesse de pleurnicher, disant regretter son acte et refusant même de manger. Pour ceux qui le connaissent, ce ne sont là que simagrées.

Pour mettre au point différentes constatations, et surtout la question du vol d'argent qui a suivi l'assassinat, l'accusé a été transféré mardi soir sur le lieu du crime dans une automobile mise à la disposition des gendarmes par M. Retout, notaire à Valmont.

Il apparaît de plus en plus maintenant que Burel a tué pour voler. Il savait, en effet, que le père Hervieux avait touché dans la journée de dimanche, de cultivateurs auxquels il avait fourni de la marne, une somme assez rondelette. Menant la vie à grandes guides, le garnement ne recevait pas suffisamment d'argent de ses parents pour faire la fête.

Il alla donc à la carrière, peut-être avec l'intention de se venger d’Hervieux, mais surtout pour s'emparer de l'argent et, devant la résistance du bonhomme, n'hésita pas à s'en débarrasser afin d'arriver à ses fins.

Les renseignements fournis sur le vaurien lui sont de plus en plus défavorables. Voleur, crapule, mauvais travailleur, il est peu intéressant.

 

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Le 17 juin 1927, un arrêt de la Cour d'Appel de Rouen, chambre des mises en accusation, renvoi l’affaire devant la Cour d'Assises de la Seine-Inférieure.
Le procès a lieu le 7 juillet.

Journal de Rouen du 8 juillet 1927

TRIBUNAUX
Cour d'assises de la Seine-Inférieure
Troisième session ordinaire de 1927
Présidence de M. BERTHELEMOT conseiller à la Cour
Audience du 7 Juillet 1927

Le Crime d'Eletot
Burel est condamné à 20 ans de Travaux forcés

Après l'affaire passionnelle de Graville, que la Cour eut à juger avant-hier, nous en arrivons au crime crapuleux, qui a pour point de départ la vengeance peut-être, et pour conclusion, le vol.

Le père Hervieux, un vieillard de 73 ans, vivait seul dans une petite cabane construite au pied d'une carrière qu'il exploitait à Eletot, non loin de Saint-Pierre-en-Port. Ses voisins les plus proches étaient les membres de la famille Burel, qui tenaient un « petit bien » acquis à force de travail, à deux cents mètres environ de la carrière.

Dans la nuit du 13 mars dernier, Henri Burel, âgé de 20 ans, fils de ces braves cultivateurs, qui revenait en bicyclette de Saint-Pierre-en-Port, où, en compagnie d'amis, il avait pas mal dégusté de petits verres de menthe, décida, avant de rentrer chez lui, d'aller « rendre visite » au père Hervieux. Il abandonna donc sa machine sur le bord d'un fossé et prit le sentier qui menait à la hutte du père Hervieux.

La « visite » que voulait faire Henri Burel au père Hervieux, à une heure aussi indue, n'avait d'autre but, expliqua plus tard l'accusé, que « d'obtenir une vengeance » d'un bruit que faisait courir le malheureux vieillard sur le jeune cultivateur, insinuant à qui voulait l'entendre que Burel lui avait volé, quelque temps auparavant, une somme de quelques centaines de francs.

Et Burel arriva à la hutte. La porte en était fermée. De l'enquête, il résulte qu'il la défonça (on retrouva, en effet, des traces de coups dans cette porte). Le pauvre vieux, réveillé en sursaut, sauta au bas de sa couchette, et s'avança vers Burel. Celui-ci, pris de folie furieuse — c'est au moins ce qu'il affirma au cours de l'enquête — se saisit alors d'un manche d'outil ferré à l'un de ses bouts et en frappa si violemment le père Hervieux que celui-ci s'écroula, le crâne ouvert. Et les coups continuèrent à tomber.

C'est alors que Burel perpétra son vol. Il n'ignorait certainement pas, lui qui connaissait bien tous les recoins de la cabane du vieux, que celui-ci cachait ses petites économies dans deux boîtes en fer blanc. Il eut vite fait de les découvrir et de s'en emparer. Elles contenaient 750 francs.

Et, sans aucune émotion devant son forfait, le jeune assassin, reprenait le chemin de la ferme des époux Burel, retrouvait sa bicyclette à l'endroit même où il l'avait laissée et rentrait se coucher.

 

L'Interrogatoire

Henri Burel, dans le box des accusés, fait bien mauvaise figure. Il est complètement écroulé et, bien souvent, il n'entendra pas les questions que lui posera le président. Son corps est soulevé de sanglots et, quand tout à l'heure son malheureux père déposera, le visage couvert de larmes, le jeune garnement s'évanouira presque.

D. — Dites-moi, Burel, vous avez delà commis un vol de pommes de terre ?
R. — Oui, monsieur le Président, mais c'est le père Hervieux qui m'y avait poussé!
D. — C'est à la suite de ce vol de pommes de terre que vous avez menacé le père Hervieux?
R. — Je ne l'ai jamais menacé!
D. — Le père Hervieux avait vu sa cabane visitée de fond en comble 15 jours avant le crime, et il avait dit, à la suite de cette visite : « Il est certain que l'auteur de cet acte c'est Burel ! » Avait-il raison?
R. — Je n'ai jamais rien volé chez Hervieux!
Le Président.— Enfin, il est un fait bien précis, c'est que vous avez été chassé de toutes vos places parce que vous voliez!

On en arrive à la journée du 13 mars.

L'accusé dit avoir été boire avec des camarades à Saint-Pierre-en-Port. Il soutient qu'il a bu beaucoup.

— Je n'étais pas saoul, peut-être, mais ce qui est certain, c'est que j'étais parti !

Cependant ses parents ont déclaré qu'il était rentré dans un état normal et le président tient à le lui faire remarquer.

R. — Ils n'ont pas pu le voir, puisqu'ils étaient couchés; mais moi je sais bien que j'étais parti!

C'est maintenant le rappel du crime.

D. — Dites à Messieurs les jurés, Burel, comment vous avez agi.
R. — J'ai frappé à la porte de la cabane. Hervieux m'a ouvert et m'a saisi aux cheveux.

Cependant, le Présidente voudrait faire préciser au jeune bandit comment il se fait que, si Hervieux lui a ouvert la porte, celle-ci ait été retrouvée démolie

Burel dit ne pas savoir.

D. — Et puis, votre crime commis, qu'avec-vous fait?
R. — J'ai aperçu les deux boîtes en fer blanc qui contenaient l'argent; je les al prises et je me suis sauvé.

Cependant ces dires ne coïncident pas avec ceux qu'il fit auparavant aux gendarmes qui l'interrogeaient. Selon sa première version, il aurait déshabillé complètement le pauvre père Hervieux pour lui voler l'argent qu'il portait sur lui, et son crime accompli, Burel s'en alla tranquillement cacher l'argent qu'il avait volé.


Les Témoins

On entend tout d'abord le chef de brigade de gendarmerie Mutel qui raconte comment il fut amené à soupçonner Burel. Puis il retrace les circonstances de l'arrestation.

Après lui le docteur Termet, médecin légiste, qui a procédé à l'examen mental de Burel, estime que celui-ci conserve la pleine et entière responsabilité de son acte.

Le docteur Pépin fit, lui, l'autopsie de la victime. Il donne des détails très précis sur les blessures reçues par le père Hervieux.

M. Béchet découvrit le cadavre du père Hervieux. Il raconte comment il fit cette découverte.

Sur une demande du président, il confirme qu'il a trouvé le cadavre complètement dévêtu.

M. Lecanu, fut appelé par M. Béchet lorsque celui-ci découvrit le cadavre du père Hervieux, sa déposition n'apporte aucun détail nouveau.

Le maire d'Eletot, M. Boudin, connaissait bien l'accusé.

— Je puis vous affirmer, Messieurs les jurés, que Burel est un paresseux; jamais il n'a pu demeurer dans une place.
D. — Pourquoi quittait-il donc ses places?
R. — Et ben! c'est parce qu'il « grinchait » toujours un petit peu!

Et le témoin accompagne cette phrase d'un geste qui explique la signification de ce mot.

Et voilà maintenant, la seconde victime, la vraie victime du jeune bandit; c'est son père.

Un pauvre petit bonhomme malingre, les yeux rougis par les larmes, s'avance à la barre. Il a huit enfants et grâce à son travail, à sa persévérance, il est maintenant à la tête d'une petite ferme. On l'entend à peine, quoi qu'il fasse des efforts pour parler distinctement.

Tout ce qu'il peut dire c'est que son fils est rentré dans la nuit du 13 mars, dans son état normal.

Le président, comprenant les souffrances imméritées du pauvre homme, ne pousse pas plus loin l'interrogatoire.

On entendra maintenant dans la salle, par instants, des sanglots étouffés, ce seront ceux qui sortent de la poitrine de ce pauvre homme dont l'avocat général dira tout à l'heure « qu'il est digne des héros de Corneille ».

Mme Laminou, voisine du père Hervieux et chez qui celui-ci prenait ses repas dépose ensuite. Elle explique que le père Hervieux lui a dit que Burel lui avait volé 340 francs.

— Une autre fois le père Hervieux m'a dit « Ben, vous savez, on m'a encore chaviré ma cabane! Je suis sûr que c'est encore Burel qui m'a fait le coup ».

Voici les derniers témoins: c'est le jeune Masson avec qui Burel a passé l'après-midi le jour du crime.

Lui aussi soutient, malgré les dires de l'accusé, que Burel n'était pas ivre.

Et, enfin, M. Larcheray qui eut Burel pendant quelque temps à son service. Burel lui avait volé des pommes de terre et pour ce fait il avait été condamné par le tribunal correctionnel du Havre.

— C'est même à la sortie du tribunal que le père Hervieux a reproché à Burel de lui avoir volé, quelque temps auparavant, une somme d'argent et alors Burel lui répondit : « Je te vole toujours, mais je te retrouverai ailleurs qu'ici ou dans ta cabane ».

L'audience est alors suspendue.


Réquisitoire et Plaidoirie

 M. l'avocat général Guihaire, dans un réquisitoire très brillant, demanda contre Burel un châtiment sévère et demanda au jury de répondre affirmativement à toutes les questions. Il ne refuse pas cependant les circonstances atténuantes, étant donné le jeune âge de l'accusé.

Me Monnier, avocat du barreau de Rouen, dans une éloquente plaidoirie, après avoir attiré l'attention des jurés sur le jeunesse de l'accusé, a fait un vibrant appel à leur indulgence et à leur pitié.


Verdict

Après 40 minutes de délibération, le jury rapporte un verdict affirmatif sur toutes les questions, mais accorde les circonstances atténuantes.

En conséquence, la Cour condamne Burel à vingt ans de travaux forcés.

 

À la suite de ce jugement, Henri Burel s’est pourvu en cassation et l’affaire a été jugée par la Cour de Cassation au Palais de Justice à Paris, le 10 septembre 1927.
La Cour a rejeté le pourvoi.

Henri Burel décèdera deux ans plus tard, le 22 octobre 1929, au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni.